« Nos racines sont au fond des bois, parmi les mousses, autour des sources. » Emile Gallé

Quelle plus belle citation pour introduire à la poésie des formes ? Avant de reprendre le fil de mon projet en vous exposant comment choisir la décoration dans une demeure historique et les différentes propositions faites aux habitants de l’immeuble 1905 pour lesquels je travaille, je fais une halte architecturale et décorative dans les arabesques de l’Art nouveau (mouvement artistique de 1890 à 1915).

Les formes de l’Art nouveau :
Inspirées de la nature qui offre une source inépuisable de références, les formes utilisées dans l’Art nouveau reproduisent les courbures naturelles des végétaux et parfois les interprètent, les amplifient. En 2 dimensions (illustrations, papiers peints, tissus) ou en 3 dimensions (mobilier, objets de décoration), les plantes ondulent sur les supports décoratifs : les fleurs deviennent des lampes ou des vases, les pieds de glycine des pieds de chaises tortueux, les tiges serpentent autour des miroirs… L’Art nouveau aime les silhouettes graciles, les formes élancées, les corolles délicates. Le lien entre le milieu horticole et l’Art nouveau est très fort (on l’a vu avec Eugène Grasset et ses illustrations botaniques fidèles). C’est aussi vrai de la plupart des artistes de l’Ecole de Nancy (voir ci-dessous) qui entretenaient des relations fortes avec les botanistes renommés de l’époque.

german-art-and-decoration-illustr-monatshefte-for-modern-painting_sculpture_architecture_house-art-artistic-womens-work-1897-1898Motifs floraux pour la décoration domestique dans un mensuel illustré allemand (1897-1898)

Non seulement l’Art nouveau est indissociable de la nature dans ses sources d’inspiration (thème floral récurrent) mais ce lien est si fort que la fleur devient objet… ou l’objet devient fleur ! Pour notre projet, nous mettrons évidemment en avant le thème floral, en nous efforçant de trouver des reproductions de fleurs entrelacées ou dessinant des entrelacs de leurs tiges courbées.

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 Papier peint Ianthe de Liberty : « Ianthe Flower arbore un motif dessiné en 1900 par le designer français René Beauclair, puis retravaillé par Liberty. Ce motif floral Art Nouveau est un enlacement ordonné de fleurs et de tiges où jouent courbes et contrecourbes. » (rectificatif du 5 janvier 2018 : ce coloris n’est plus disponible ; nouveau coloris distribué par Etoffe.com).

L’architecture Art nouveau :
L’architecture nous intéresse moins que les arts décoratifs pour construire notre projet de décoration. Néanmoins, l’Art nouveau a été initié comme un art global, où architecture et décors de toutes sortes sont indissociables. On ne peut donc concevoir de se plonger dans les codes décoratifs de l’Art nouveau sans évoquer le formidable élan qui a transformé l’aspect extérieur des immeubles autant que leur décoration intérieure, le mobilier des logements et nombreux accessoires de décoration. Hector Guimard (1867-1942), architecte et décorateur d’une inventivité foisonnante est sans doute le plus connu des parisiens pour lesquels il a imaginé les bouches de métro (1900). Il se « convertit » à l’Art nouveau après sa rencontre avec l’architecte belge Victor Horta. Malgré une constante recherche de la perfection, il est très prolifique de 1898 à 1910. Il laisse une oeuvre architecturale importante (malheureusement démolie pour moitié dans les années 1960).

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Dessin de l’architecte belge Victor Horta ; « Les éléments de son langage sont la « ligne coup de fouet « , les courbes et doubles courbes qui s’enlacent et s’opposent » (Claude Boissy sur le site l’Art nouveau). Dessin de façade de l’Hôtel Guimard (construit par Hector Guimard en 1909 au 122 avenue Mozart à Paris).

L’art nouveau dans les immeubles parisiens : La plupart des immeubles construits à Paris ou en proche banlieue pendant la période 1895-1915 présentent un grand nombre de caractéristiques communes qui sont autant d’éléments architecturaux ou décoratifs remarquables : mosaïques, carreaux de ciment, vitraux, grilles et rampes en fer forgé, colonnades, décor de stuc, céramiques, frises au pochoir… presque toujours à motifs végétaux. N’hésitez pas à pousser les portes pour entrer dans les immeubles : on y découvre des merveilles ! L’année de construction figure la plupart du temps sur la façade et les parties communes (hall d’entrée, cage d’escalier) sont souvent accessibles, pour peu qu’une profession libérale figure parmi les heureux habitants.
Les immeubles les plus illustres d’époque Art nouveau à Paris sont le Castel Béranger, 14 rue La Fontaine, Paris 16ème (architecte Hector Guimard, 1er prix du 1er concours de façades de Paris en 1898) et l’immeuble du 29 avenue Rapp, Paris 7ème (architecte Jules Lavirotte, 1er prix du concours de façades de Paris en 1901). Le style Art nouveau y est poussé à son paroxysme… à voir absolument !

guimard_salle-a-manger_castel-d-orgevalDessin d’Hector Guimard pour le mobilier de la salle à manger du Castel d’Orgeval (villa construite en 1904 à Villemoisson en Essonne)

L’Ecole de Nancy :
Impossible de parler de ligne courbe sans faire un détour du côté de Nancy !  À la charnière des XIXe et XXe siècles, le conflit entre l’artisanat d’art et la production industrielle naissante pousse un certain nombre d’artistes nancéiens à lutter contre la fabrication en série, tout en appuyant leur créativité sur les nouvelles techniques industrielles. En 1894, une exposition d’art décoratif présente, à Nancy, des productions locales, sous l’impulsion de l’architecte Charles André (1841-1921). L’appellation « Ecole de Nancy » regroupe, à partir de 1901, des membres éminents dans le domaine des industries artistiques de l’Est de la France. Les productions nancéiennes deviennent une référence nationale et internationale. Rassemblés autour d’un projet professionnel mais aussi autour d’une unité esthétique, les artistes de l’École de Nancy vont promouvoir une unité de l’art. Leur travail nous intéresse dans notre projet pour le traitement décoratif en général et pour les lampes en particulier (Gallé, Daum). Les principaux acteurs sont :

  • Émile Gallé (1846-1904) : industriel, maître verrier, ébéniste et céramiste français, grand prix de l’exposition universelle de 1889, célèbre surtout pour ses vases. Il est aussi botaniste, d’où l’importance du végétal dans son oeuvre.
  • Louis Majorelle (1859-1926) : ébéniste et décorateur. Ses oeuvres inspirées de la nature sont caractérisées par des courbes très sinueuses, des entrelacs, que ce soit dans la forme générale ou dans les détails (poignées de meubles par exemple).
  • Les frères Daum : Auguste (1853-1909) et Antonin (1864-1930) reprennent la verrerie de leur père et se lancent dans la création artistique Art nouveau (gravure à l’acide notamment).
  • Eugène Vallin (1856-1922) : architecte et ébéniste, il se différencie de Gallé et Majorelle par son refus d’industrialiser sa production.
  • Victor Prouvé (1858-1943) : peintre et décorateur, il est aussi sculpteur, graveur, travaille le cuir et le métal. Il devient le second président de l’Ecole de Nancy à la mort d’Emile Gallé en 1904.

lart-decoratif-art-nouveau-bmb-cote-755-410m-bibliotheque-municipale-de-nancy« Compositions pour cretonne imprimée » : motifs floraux pour tissus, Bibliothèque-médiatèque de Nancy.

Vous êtes arrivés au terme de cet article et vous vous demandez pourquoi il n’est illustré que de noir et blanc ?

Pour la forme ! Si vous cherchez la couleur, c’est ici !

 decor_floral_laliqueDécor de chrysanthèmes par René Lalique, maître verrier et bijoutier français (1860-1945)

pond-lily-design-by-adelaide-alsop-robineau-p119-in-v2-no6-of-keramic-studio-october-1900Décor de nénupahars pour un service à thé par Adélaïde Alsop Robineau, céramiste américaine (1865-1929) dans Keramic Studio, octobre 1900.