Chaque maison a un passé, au moins celui de sa construction. Chaque demeure s’enracine dans un lieu. Qu’il soit ancien ou neuf, chaque logement s’inscrit dans un cadre géographique et historique que j’aime respecter en l’aménageant ou le décorant. L’influence du passé est évidemment plus forte lorsque la demeure a traversé les siècles. Le défi d’une rénovation réussie n’en est que plus grand. Château ou maisonnette, chaque habitation a aussi pour histoire celle de ses bâtisseurs, celles de ses occupants des générations écoulées, celle de ses locataires ou propriétaires actuels. La décorer ou la transformer oblige à concilier les vestiges du passé, les marques du progrès technique, les évolutions sociologiques, les envies et besoins de ceux qui l’habitent. C’est cette recherche décorative que je vous partage aujourd’hui.

Rappel pour les nouveaux arrivants sur le blog À tous les étages : La copropriété d’un immeuble typiquement Art nouveau*, en proche périphérie de Paris, m’a confié le projet de rénovation des parties communes (hall et cage d’escalier). Cet article est la suite du feuilleton relatant les grandes lignes du projet.** N’hésitez pas à vous inscrire au blog pour profiter de tous les nouveaux articles publiés (renseignez votre adresse e-mail dans la colonne de droite de ce blog).

A tous les etages Cogitation Projet Art nouveauChoisir la décoration d’une demeure historique demande de la préparation : échantillons de papiers peints, nuanciers de peinture et croquis À tous les étages.

Comment choisir la décoration dans une demeure historique ?

J’ai développé dans La rose et l’églantine une approche empirique des recherches avant projet. Je vais aujourd’hui formaliser le cadre des recherches en vous proposant une démarche qui peut s’appliquer à tous types de projets à caractère historique. J’aurais aussi bien pu l’utiliser pour décorer l’entrée d’une maison versaillaise XVIIIe.

Belles rééditions de papiers peints Art nouveau (réalisés de façon traditionnelle à la planche, au rouleau ou au pochoir) et papiers peints modernes interprétant les motifs d’époque.

Je vous propose une méthode en 5 étapes :

  • Le préalable est de s’imprégner des arts décoratifs de l’époque, qu’il s’agisse de peinture, de sculpture, d’architecture, d’illustration, de production de mobilier ou d’accessoires… La recherche de documentation tous azimuts est indispensable mais l’outil internet est évidemment une mine formidable. J’ai testé une technique que je renouvellerai : me constituer un tableau Pinterest (média quasi inépuisable et où on découvre des merveilles !). Je propose aux amateurs d’art de découvrir mon tableau Pinterest « Décor Art nouveau » dans lequel vous retrouverez une bonne partie de mes sources d’inspiration pour la décoration des hall et cage d’escalier.
  • Puis il faut définir les techniques décoratives à utiliser ; elles sont souvent entravées par le budget. Les travaux prévus dans mon « projet Art nouveau », définis par le cahier des clauses techniques particulières (CCTP, document contractuel) , contraignent le choix de la future décoration à l’utilisation de peinture et de papier peint, c’est-à-dire à reproduire, d’un point de vue technique, la décoration existante. Sont donc exclues du champ des possibilités un certain nombre de techniques décoratives qui auraient pu contribuer à l’amélioration dans le respect de la décoration originelle : frises peintes au pochoir ou décors de céramiques par exemple.
  • En troisième lieu, on choisit les couleurs et les motifs. Pour ce projet, nous mettrons évidemment en avant le thème floral, en nous efforçant de trouver des reproductions de fleurs entrelacées ou dessinant des entrelacs de leurs tiges courbées. Après une étude des couleurs de l’Art nouveau et des formes de l’Art nouveau, je me suis attelée à la recherche de motifs décoratifs fin XIXe-début XXe pour le choix du papier peint. Les motifs anglais présents chez le créateur William Morris à la fin de l’ère victorienne sont des motifs répétitifs très serrés et souvent sombres (très proches stylistiquement du « mille-fleurs » populaire dans l’art du Moyen Âge). Les coloris principalement utilisés sont les verts, bruns, pourpres, rouges et roses fanés. Sur les planches d’Eugène Grasset ou de Maurice Pillard Verneuil, plus récentes, on observe une coexistence de ces motifs floraux assez denses avec des formes plus libres et plus légères : l’Art nouveau prend forme et les courbes s’affirment et s’entrecroisent. Les coloris deviennent plus vifs aussi.
  • Après sélection d’un certain nombre de combinaisons possibles, on procède par élimination en prenant en compte les contraintes d’utilisation, les contraintes décoratives et l’aspect humain.  Ici il s’agit des parties communes d’un immeuble ; l’usage intensif justifie donc le choix de coloris peu salissants et de papiers de très bonne qualité, de préférence en intissé (encollage du mur et non du papier). Concernant les contraintes décoratives, nous sommes limités dans le choix des couleurs par celle du tapis d’escalier, des mosaïques de sol, des vitraux, etc. Quant à l’aspect humain, qu’il ne faut jamais négliger, il consiste ici à concilier les aspirations discordantes des occupants de l’immeuble en mettant en avant les points de convergence.
  • Enfin, on classe par ordre de préférence et/ou de cohérence décorative pour ne garder que la ou les combinaisons tout à fait satisfaisantes (au prix parfois de tristes renoncements…)

« Décor Art nouveau »

A tous les etages Projet Art nouveau choix papier peintRéflexion devant un grand nombre d’échantillons de papiers peints… Plutôt couleur gaie au risque de lasser ou plutôt coloris neutre plus consensuel ? Plutôt motifs d’époque ou plutôt réinterprétation modernisée ?

Notre chance pour ce projet est que c’est l’époque où le papier peint commence à se démocratiser. Il intéresse en tous cas les designers de l’époque qui y voient un formidable moyen d’expression et de diffusion de leur art. Nous avons donc à notre disposition beaucoup d’exemples de papiers peints (ou de projets de papiers peints archivés) qui sont une bonne base de recherche pour notre projet. Certains fabricants actuels (britanniques pour la plupart, notamment Little Greene et Farrow & Ball) font de belles rééditions, réalisées de façon traditionnelle à la planche, au rouleau ou au pochoir. On trouve aussi des papiers peints à motifs conformes à l’Art nouveau sans être strictement copiés ou des interprétations graphiques modernisées, qui utilisent des techniques de fabrication moderne (papiers lavables en intissé, plus solides et de pose facile ; grand choix chez Cole & son).

Mon étude devant aboutir à la production de 3 à 4 projets différents, soumis au Conseil syndical avant que 2 d’entre eux soient présentés en Assemblée générale, j’ai rassemblé une grande quantité d’échantillons de papiers peints afin d’avoir le choix le plus large et cohérent possible. Le choix a été cornélien : il m’a fallu laisser de côté des merveilles pour me focaliser sur une harmonie décorative parfaite en accordant les coloris des différents espaces à ceux des sols, des vitraux, des contremarches d’escalier… Il a été important aussi d’examiner les échantillons à la lumière du jour (compliqué quand le jour décline tôt) et de les comparer au nuancier de peinture de l’entreprise en charge des travaux.

A tous les etages Projet Art nouveau essai papier peint irisRéflexion autour du thème des iris : un papier peint moderne à motif d’iris blancs très élancés (Iris de Sandberg, collection Villa Harmonica) et l’autre à motifs sombres mais délicatement dorés (Liandra, Papier peint des années 70).

A tous les etages Projet Art nouveau essai papier peint pivoinesRéflexion autour du thème des pivoines : rééditions de papiers imprimés à la planche (Landsome Walk de Little Greene et Peony de Farrow & Ball) et une version modernisée imprimée de motifs argentés sur fond blanc (Peony de Farrow & Ball, une merveille malheureusement trop salissante).

A tous les etages Projet Art nouveau essai papier peint ombelles lotusRéflexion autour d’autres thèmes floraux chers à l’Art nouveau : les nénuphars (Lotus de Farrow & Ball) et les ombelles (Esoka, Papier peint des années 70).

Ces 3 dernières photos donnent un aperçu partiel de mes cogitations. Un petit test proposé sur la page Facebook À tous les étages n’avait pas vraiment donné de piste préférentielle (merci à toutes celles qui y ont répondu !) mais le Conseil syndical a beaucoup aimé les pivoines. Suite dans les prochains épisodes pour vous montrer certains projets et vous dévoiler mi-janvier le choix final des copropriétaires ! Je vous montrerai bien sûr des photos de l’avant/après… Vous vous ferez une petite idée !

*Rappel : la période Art nouveau s’étend de 1890 à la première guerre mondiale, avec un apogée autour de 1905. **Tout en restant discrète sur les détails du projet, je vous livre dans ce blog une partie du fruit de mes recherches, en accord avec la copropriété de l’immeuble concerné.