Le grand projet qui m’occupe depuis plusieurs semaines est fleuri, très fleuri ! Des roses, des roses, profusion de roses… omniprésentes, chargées, presque étouffantes. Cette décoration malencontreuse, datée du début des années 1990, donne plus l’impression d’entrer dans une bonbonnière que dans un bâtiment historique… Happé par la profusion de motifs, le regard ne prête plus attention aux éléments décoratifs d’origine. Ce décor au papier peint fleuri est pourtant attachant par son côté désuet voire « rétro » ou « vintage » ; certains habitants de l’immeuble en sont fous… Mais l’Art nouveau est très loin ! Le défi : concilier les aspirations discordantes des occupants de l’immeuble en mettant en avant les points de convergence et sans perdre de vue les caractéristiques historiques de l’édifice.*

La réussite du projet décoratif dépend de sa bonne préparation. Il s’agit donc pour moi de travailler avec précision pour analyser la situation actuelle, étudier l’architecture du bâtiment et son contexte historique, puis me plonger dans l’ambiance de l’époque, m’en imprégner pour mieux comprendre la problématique. L’immeuble date de la période Art nouveau** (1905) et sa décoration de mosaïque en façade en témoigne. Pas question de faire un contresens historique ! Rénover en respectant les caractéristiques décoratives d’époque est pour moi une exigence (respect de l’histoire, respect envers les bâtisseurs et artisans à l’origine de la maison, transmission de ce passé aux générations suivantes). Rien n’interdit quelques variantes mais la décoration ne doit pas être anachronique. C’est aussi ce à quoi je me suis efforcée pour décorer l’entrée d’une maison versaillaise XVIIIe.

dorothy-fitchew-active-1910-1922-roses« Roses », illustration à la plume et à l’aquarelle (probablement réalisée en 1920) de Dorothy Fitchew, artiste britannique, illustratrice de nombreux ouvrages, notamment des livres pour enfants et des livres de botanique. Cette illustration est légèrement postérieure à la période Art nouveau mais en conserve le goût des lignes courbes.

L’état des lieux inventorie les impressions sensorielles pour mieux en analyser les causes. Le rose trop vif du papier s’accorde mal avec les éléments décoratifs d’origine (sol de granito rouge, mosaïque, vitraux) et les motifs chargés assombrissent considérablement les lieux, donnant, malgré l’espace majestueux des parties communes, une impression d’étroitesse. Présente partout et à tous les étages, de l’entresol jusqu’au couloir des chambres de service, la décoration ne permet pas de « respiration » visuelle dans le décor. Le thème floral cher à l’Art nouveau est bien présent (plus que présent même !) mais n’en respecte néanmoins pas les codes décoratifs : le graphisme de la Belle époque est plus libre et plus léger.

2016_papier_peint_roses  papier peint églantine William Morris 1887  brooklyn-museum-wallpaper-sample-book-1-william-morris-and-company-page025-wallpaper-blackberry-pattern1915-17

Pour comparaison : le papier peint actuel de l’immeuble à motif de roses ; un papier peint à motif d’églantier (wild rose) de William Morris (1887) ; un papier peint à motif de mûrier (blackberry) de W. Morris and Company (1915). NB : Hormis la photo du papier peint actuel, toutes les illustrations de cet article ont été piochées sur Pinterest.

Pour étayer mon propos et aider à sa compréhension, j’ai soumis au Conseil syndical un petit exercice en images, avec des illustrations de roses, d’églantines ou d’azalées, toujours proposées dans des tons de rose et vert pour que la comparaison avec la tapisserie actuelle soit plus aisée. Cette planche de style a pour but de rechercher quelle aurait pu être la décoration adoptée au début des années 1990, si on avait respecté les codes décoratifs de l’Art nouveau tout en choisissant un décor de roses. On pourra ainsi plus facilement prendre conscience du décalage de style entre la décoration fleurie actuelle et les décors floraux propres à l’Art nouveau.

La-rose-et-l-églantine_planche-style_Art-nouveau_A-tous-les-étagesPlanche de style décoratif : La rose et l’églantine (©À tous les étages)

La planche présente, de gauche à droite et de haut en bas :

  • La page de juin du calendrier de la Belle Jardinière par Eugène Grasset (1896)
  • Une lithographie d’Elisabeth Sonrel (1900)
  • Les planches n°67 et 68, l’églantier, de La Plante et ses applications ornementales par Eugène Grasset (1896)
  • Un papier peint à motif d’églantier par William Morris (1887)
  • Un papier peint « Lily and rose » (lys et rose) par Walter Crane (1894)
  • Une cage d’escalier décorée de frises de rosiers et glycines à La Fonds-de-Chaux (Suisse)
  • Un dessin pour un vase dans le magazine américain Keramic Studio (1902)

On y note les caractéristiques suivantes :

  • Légèreté du trait sur les planches botaniques
  • Utilisation des végétaux dans leur état le plus naturel possible : l’églantier (wild rose) sera préféré au rosier
  • Stylisation des plantes dans les motifs transposés pour un usage décoratif (papiers peints, tissus, objets de décoration…)
  • Importance des lignes courbes (plus présentes plus on avance chronologiquement)
  • Coexistence de 2 interprétations du modèle végétal : l’une répétitive sur fond plutôt sombre, l’autre plus libre sur fond clair.

foord-pochoir-flower-studies-1901  grasset_juin

Wild rose par l’artiste écossaise Jeannie Foord, planche extraite d’une série d’études de fleurs (1901). Calendrier du magasin « La belle jardinière » illustré par Eugène Grasset, mois de juin 1896.

Prêts pour changer de décor ? Nous découvrirons ensemble, dans le prochain épisode, la méthode pour choisir la décoration dans une demeure historique.

 *Tout en restant discrète sur les détails du projet, je vous livre dans ce blog une partie du fruit de mes recherches, en accord avec la copropriété de l’immeuble concerné. **Rappel : la période Art nouveau s’étend de 1890 à la première guerre mondiale, avec un apogée autour de 1905.